Ci-dessous (en PDF) le rapport final de la journée de réflexion et d'échanges du mars 2023 au Palais du Luxembourg (Sénat) à Paris.
Ci-dessous la synthèse (établie par nos soins) des interventions des universitaires invités (Boris Cyrulnik, Denis Peschanski, Antoine GARAPON) et l'intégralité de l'intervention de Dominique Schnapper qui a eu l'amabilité de nous remettre son texte écrit.
A la demande d’AJIR, Boris Cyrulnik, s’est focalisé sur la transmission des traumatismes. Il a présenté la difficulté de témoigner en insistant sur le fait « qu’on ne peut pas ne pas transmettre » : dire son traumatisme à ses proches c’est leur transmettre l’horreur vécue ; se réfugier dans le silence, c’est leur transmettre l’angoisse.
Ce qui nécessite l’intervention d’un tiers pour rendre l’information plus supportable pour les proches que cela soit par des lieux de paroles (commissions, fondations, ... ) ou soit par des artistes (films, théâtre, romans,…) des philosophes, des politiques engagés, etc.
Boris Cyrulnik insiste sur l’effet thérapeutique de l’écriture qui permet de mettre une dis-tance entre soi et le trauma. D’autant plus, que se taire, c’est se faire complice de son agresseur tout en transmettant à son entourage ses propres névroses. Il souligne l’importance du langage adopté. Parler de « blessé » est moins stigmatisant qu’employer le terme de « victime».
Ce travail de mémoire, par le témoignage du trauma, permet de construire un récit narratif, de comprendre ce qui a été subi. Alors la libération de la soumission à cette blessure du passé et la résilience peuvent advenir. « Le récit n’est pas un retour au passé, c’est une ré-conciliation » car la résilience ne peut pas être réduite à une histoire de réussite comme on le fait trop souvent, « c’est l’histoire de la bagarre d’un enfant poussé vers la mort qui in-vente une stratégie de retour à la vie. »
Cette intervention riche, pédagogique et pleine d’humanité a été très apprécié par un pu-blic captivé et qui ne pouvait pas ne pas faire de lien avec le vécu des Harkis et de leurs enfants. Son exposé comme ses livres résonnent parfois douloureusement mais sont por-teur d’espoir : rester blessé-e n’est pas une fatalité à condition de ne va vouloir se com-plaire dans une posture de victime et de rencontrer des personnes sécurisantes à même de servir de « tuteurs de résilience. »
« L’effet des traumatismes diffère selon les réactions familiales, les institutions et les mythes (…) plus la réaction sociale est désorganisée, plus les troubles seront importants. Quand l'entourage est détruit ou quand le mythe culturel pousse à se désolidariser des blessés, l'abandon empêche le travail de résilience. La négligence affective d'une famille altérée, la négligence institutionnelle qui ne prévoit pas d'aide médicale, psychologique ou financière, la négligence culturelle une société qui largue ses éclopés parce qu'ils n'ont plus de valeur, toutes ces mises à distance paralysent la reprise d'une trajectoire résiliente et enferment une partie de la population dans une sorte de camp de réfugiés psychiques qui ne pourront plus participer à l'aventure sociale. »
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1 Les enfants de Harkis ont ainsi pour beaucoup souffert du silence des pères, (prisonniers du piège historique décrit par Dominique Schnapper et d’une pudeur culturelle)
2 Boris Cyrulnik a accepté de présider le conseil scientifique d’un projet initié par Kamel Sadji et soutenu par la Région PACA sur la mémoire et le vécu des Harkis et d’autres « exilés ». Benjamin Stora et Mohand Ha-moumou font également partie du conseil scientifique.
3 Extrait de Boris Cyrulnik, Autobiographie d’un épouvantail, Ed Odile Jacob, 2008, page 50
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Boris Cyrulnik, médecin neuropsychiatre est aussi psychanalyste. Il a notamment diffusé le concept de « résilience » (renaître de sa souffrance). Président du prix Annie-et-Charles-Corrin sur la mémoire de la Shoah (depuis 2005). Il est l’auteur d’une vingtaine de livres (vendus à plus de 2 millions d’exemplaires et traduits en plusieurs langues) dont :
• Les Vilains Petits Canards, Paris, Odile Jacob, 2001
• Mourir de dire : La honte, Paris, Odile Jacob, 2010
• Les Âmes blessées, Paris, Odile Jacob, 2014
• Résilience : facteurs de protection et de vulnérabilité, Montréal, 2022
• avec Boualem Sansal, L'Impossible Paix en Méditerranée, éd de l'Aube, 2017
Pour lui la guerre d’Algérie est « un passé qui ne passe pas » et singulièrement pour les Harkis qui constituent un enjeu mémoriel majeur.
Cet enjeu mémoriel est d’abord le fait des associations de ou pour les Harkis qui s’en sont emparé notamment avec les révoltes de 1975. Puis celui de l’Etat avec la reconnaissance par Jacques Chirac et ses successeurs, Nicolas Sarkozy et François Hollande, jusqu’à la « demande de pardon » d’Emmanuel Macron en 2020.
Mais un troisième élément est absent : la prise en compte par la société pour qui l’histoire des Harkis est une grande inconnue qui nécessite que cette mémoire /histoire intègre « la mémoire collective » qui est avant tout une représentation sélective du passé qui participe à la construction identitaire de la société ou d’un segment de la société.
L’histoire des harkis est entrée dans la mémoire collective française, comme par effraction via les actions des associations. Parce que pour les Harkis cette entrée dans la mémoire collective était entravée par des raisons politiques. Une partie de l’électorat de droite a vu dans leur arrivée d’abord une « invasion d’Arabes » et à gauche derrière les Harkis il y avait d’abord leur engagement avec l’armée française contraire à son soutien au FLN, al-lant jusqu’à un amalgame avec la figure de collaborateur.
Ces représentations des Harkis constituent des obstacles à la prise en compte du vécu pour lequel les associations ont un rôle essentiel à jouer et l’Etat y contribue notamment avec le rapport Ceaux, la demande de pardon qui est un élément nouveau et essentiel et la Commission Bockel.
Le système démocratique, contrairement au régime autoritaire, permet la demande de pardon qui a un caractère unique et peut conduire à obtenir une réparation qui ne sera pas seulement financière mais aussi historique et morale.
Les mémoriaux et les fondations, à l’exemple du mémorial de la Shoa, sont les outils indispensables pour obtenir ces réparations historiques et morales. La fondation qui sera l’affirmation de la singularité des Harkis mais dans une optique universaliste pour ouvrir de nouvelles perspectives en pratiquant une politique d’accompagnement et en procédant à un large recueil de témoignages pour se constituer un patrimoine mémoriel et construire ainsi un récit pour soigner les traumatismes du passé.
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Denis Peschanski, Doctorat d’Etat en histoire, directeur de recherche au CNRS. Associé à la Fondation pour la Mémoire de la Shoah, il a présidé le conseil scientifique du Mémorial du camp de Rivesaltes de 2001 à 2022. Depuis 2006, il préside le conseil scientifique du Mémorial de Caen. Il est l’auteur ou co-auteur de nombreux ouvrages dont :
Antoine Garapon fait part de son expérience en tant que président de la Commission Re-connaissance et Réparation, créée par les supérieurs des instituts religieux de France, qui a pour mission de mettre en œuvre des dispositifs de réparation à destination des victimes d'abus sexuels par des religieux, et livre la méthode de travail mise en place par cette instance. Il décrit un processus en 4 étapes, parmi lesquelles la réparation qui ne peut se faire sans un travail d'évaluation préalable des préjudices.
Il explique qu'en droit, l'indemnisation des préjudices et leur évaluation se fait poste par poste : par exemple dans un accident de voiture, préjudices de la douleur, frais d'hospitalisation, prise en charge des frais médicaux par la sécurité sociale, déficit fonctionnel (difficulté à la marche), réparation de la voiture…
Cette méthode s'avère impossible à mettre en œuvre ici en raison de difficultés à évaluer des préjudices anciens et immatériels. C'est pourquoi, la Commission s'est alors tournée vers la jurisprudence des tribunaux français qui distinguent principalement deux types de préjudices : les atteintes à la dignité de la personne humaine et les souffrances morales.
Sur cette base, la Commission a mis en place une grille d'évaluation en distinguant 5 types de préjudices fondamentaux : traumatismes durables handicapant la vie quotidienne, préjudices affectifs (construction d'une famille par exemple), relations familiales (explosion des relations avec leur entourage), préjudices professionnels et préjudice spirituel (perte de la foi).
A partir de cet instrument d'évaluation, il a été demandé aux victimes de noter chaque préjudice avec un coefficient de 1 à 7, avec un plafond d'indemnisation de 60 000 €, l'objectif étant de recommander l'attribution de sommes de façon égalitaire grâce à la grille.
La commission contribue aussi à réparer par des gestes symboliques comme l’organisation de rencontres mémorielles entre les victimes et des représentants de l’Eglise (on ne parle pas de pardon). L’écoute empathique des victimes par la commission dans un cadre solennel et respectueux participe également à une forme de réparation en permet-tant aux victimes de se libérer, dans un cadre rassurant, de traumatismes longtemps refoulés.
L’intervention d’Antoine Garapon, d’une grande justesse, a interpellé l’assistance par com-paraison avec la commission de réparation des préjudices subis par les Harkis qui elle, hé-las, ne se préoccupe pas d’évaluation des préjudices et n’a pas mis en place la possibilité d’écoute des victimes. Idéalement, ceci aurait dû être fait en amont de la loi.
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Antoine Garapon, Docteur en droit, magistrat, enseignant à Sciences Po Paris et à l’Ecole nationale de la magistrature, animateur d’émissions radiophoniques sur France Culture. Membre de la CIASE (Commission indépendante sur les abus sexuels de l’Eglise) ; président de la commission « Reconnaissance et réparation » créée à l’automne 2021 par les congrégations religieuses après la publication du "rapport Sauvé" pour les victimes de religieux et de religieuses.
Il est l’auteur de 23 ouvrages dont :
• Peut-on réparer l'histoire ? Colonisation, esclavage, Shoah, Paris, 2008, Odile Jacob
• Des crimes qu'on ne peut ni punir ni pardonner : pour une justice internationale, 2002,
Nous devons remercier le sénat d’accueillir une nouvelle fois ceux qui portent la mémoire des harkis. Ce n’est pas la première fois que les harkis et leurs amis s’y retrouvent et je me souviens de la conférence de 1999 à laquelle notre ami André Wormser a participé. C’est pour moi l’occasion de lui rendre un hommage justifié. La conférence de 1999 a touché au-delà du cercle des amis et en particulier le président Chirac. On peut ainsi apprécier combien, près d’un quart de siècle plus tard, la situation et la réflexion ont évolué.
En 1999, les harkis demandaient avant tout la justice et la vérité. Ils avaient été les victimes de ce que j’avais appelé un piège historique. Ils étaient les « victimes collatérales » de la mémoire de ce qui fut, avec ses horreurs particulières, une guerre qui fut à la fois une guerre civile et une guerre de décolonisation. En 1962, après les accords d’Evian, le pouvoir français entendait oublier les « événements » et le pouvoir algérien commençait le processus de mythification du combat qui reste aujourd’hui encore au fondement de sa légitimité. C’était le début de la « rente mémorielle ».
En France, la droite et la majorité de l’électorat étaient alors gaullistes, le prestige du héros du 18 juin était considérable et il était habité de la volonté de fonder la légitimité du la 5ème République et de pouvoir intervenir plus librement dans les affaires du monde. Comment, à droite, contester une politique qui avait abouti à la décolonisation ? Il aurait été indécent d’obscurcir l’image du héros par sa décision, inspirée par la realpolitik dans ce qu’elle peut avoir de plus brutal, qu’était l’abandon des collaborateurs de l’armée française dont on savait qu’ils seraient l’objet de règlements de compte dramatiques. Les membres de l’OAS malgré leur violence étaient marginaux. La majorité de la population était soulagée par la fin de la guerre.
Quant aux militants de gauche, alors défenseurs autoproclamés des droits de l’homme, qui avait soutenu le combat pour l’indépendance de l’Algérie, ils se refusaient ensuite à penser que les héros de cette indépendance aient pu massacrer leurs concitoyens pour établir leur pouvoir. Ils dénonçaient à juste titre la torture pratiquée par l’armée, mais ils restaient aveugles aux massacres par les FLN des anciens harkis. Le plus simple pour eux était de négliger leur sort ou de les englober dans la condamnation des colonialistes et des tortures infligées par l’armée. On sait que quelques officiers, que les juifs appelleraient des Justes, refusèrent d’obéir aux ordres du pouvoir et sauvèrent leurs hommes et leurs familles en les rapatriant vers la métropole. Mais, à leur arrivée, ils furent traités d’une façon indigne, maintenant bien documentée. Leur seule existence montrait le prix de la politique. Ils gênaient la mythologie du héros du 18 juin, ils gênaient les collaborateurs français du mouvement de libération de l’Algérie. Ils gênaient aussi le FLN et la mythologie qui allait fonder la légitimité du nouveau régime selon laquelle toute la population algérienne s’était regroupée derrière eux pour réussir à établir leur pouvoir. Deux mythologies nationales dont les effets se conjuguaient à leurs dépens et aux dépens de la vérité. Ils étaient des gêneurs et le terme lui-même devint injurieux.
En 1999, les travaux de Mohand étaient déjà publiés et connus. Ce fut son grand mérite que de donner par son travail d’historien et la publication, en 1993, de son livre "Et ils sont devenus harkis", la première analyse d’un historien et une étape dans l’historicisation progressive de ce qui fut un piège historique. Il avait un mérite particulier de maintenir la ligne de la connaissance aussi objective que possible sur un sujet aussi passionné et auquel il était personnellement attaché. Son mérite était d’autant plus grand que le milieu universitaire n’y était guère préparé. J’en prends comme illustration la difficulté avec laquelle Lucette Valensi et moi-même avons pu finalement constituer le jury de soutenance de la thèse. Les spécialistes de la période étaient engagés dans un camp ou dans l’autre, le plus souvent en faveur de la lutte du FLN, et il a fallu toute la liberté d’esprit et l’indépendance de Jean Baechler pour nous tirer d’affaire. Sa contribution a permis d’évoquer un autre piège historique, celui des « malgré-nous » alsaciens incorporés de force dans l’armée allemande et ensuite jugés comme des collaborateurs par les résistants français. Un autre piège historique. Le travail de Mohand a été une première étape dans l’établissement progressif, et jamais terminé, de la vérité. D’autres ont ensuite contribué à rendre plus juste l’analyse de ce que furent les engagements de ces hommes et la politique de la France. Maintenant nous savons, nous ne pouvons plus ignorer.
Je voudrais souligner la force de la vérité. C’est ce rapport à la vérité qui distingue radicalement les démocraties des régimes totalitaires. Si le ressentiment est, comme le dit Nietzche, un poison, le refoulement des fautes et les mensonges empoisonnent les démocraties, alors que les régimes totalitaires sont fondés sur la terreur, certes, mais aussi sur le mensonge, c’est leur instrument de pouvoir. Les démocraties se sont souvent conduites d’une manière contraire aux valeurs dont elles se réclament, les harkis et leurs amis le savent. Mais, avec le renouvellement des générations, elles ont accepté finalement, fut-ce en rechignant, de reconnaître les crimes dont elles ont été coupables ou au moins complices. C’est bien de l’intérieur des démocraties qu’a été élaboré le mouvement des idées qui a conduit à la fin de l’esclavage de la traite des noirs. En 1993, dans la préface au livre de Mohand, j’appelais à la reconnaissance du sort des harkis comme à la reconnaissance de la participation des autorités françaises vichyssoises à la shoah. En 1995, le président Chirac a reconnu par son discours du Vel d’hiv la collaboration du gouvernement vichyssois à la déportation des juifs, rompant avec la mythologie de la protection des juifs par le maréchal Pétain. Le 16 juillet, chaque année, la présence du président de la République réaffirme la position de la nation. En 1999, ici même, j’appelai à la reconnaissance de la conduite honteuse des autorités à l’égard de leurs supplétifs musulmans de l’armée française. Jacques Chirac l’a fait et il a été suivi par les présidents de la République qui lui ont succédé, Nicolas Sarkozy et François Hollande. Cette reconnaissance est essentielle même s’il a fallu attendre l’action d’Emmanuel Macron pour qu’une loi de réparation soit enfin votée et même si, aujourd’hui, toutes les conséquences ne sont pas encore tirées. La reconnaissance, c’était reconnaître la vérité. Reconnaître, c’est sortir de ce double discours qui niaient, pour des raisons politiques, la réalité de ce que fut l’action, puis le malheur des supplétifs musulmans de l’armée française. Il faut maintenant négocier les conditions matérielles de réparation qui sont la suite logique de cette reconnaissance.
Que veut dire « réparer » ? Le passé est passé. On ne reviendra pas sur ce qui s’est passé. On ne reviendra pas à la situation précédente. La plupart des victimes directes elles-mêmes ont disparu ou bien elles sont très âgées. Que peut-on faire pour elles, sinon leur donner les moyens de terminer leur vie dans des conditions décentes – ce qui n’est pas rien, mais n’est pas suffisant ? Que peut-on faire pour leur mémoire, la leur et celle de leurs descendants qui ont été élevés dans le traumatisme et le silence des pères ? On peut reconnaître la vérité.
Après les guerres de 1870 et après la grande Guerre des réparations lourdes furent imposées aux vaincus. Rétrospectivement nous jugeons que l’imposition des réparations allemandes après 1920 a contribué à l’hyperinflation et n’est pas indépendante de la montée au pouvoir de Hitler. C’était une contribution économique mais aussi une humiliation imposée au vaincu. En revanche, la RFA démocratique a consenti des réparations en faveur des survivants de la shoah. Elles ont fait l’objet à l’époque d’un grand débat parmi la population et les organisations juives. Pouvait-on compenser par de l’argent la mort organisée de 6 millions de personnes du seul fait qu’elles étaient juives ? N’était-ce pas attenter à leur mémoire que de compenser leur mort par de l’argent ? Personne ne peut contester qu’il n’existe aucun moyen de préciser le prix d’une seule vie humaine, à fortiori celle d’un peuple tout entier. Elles ont finalement été acceptées. Ces réparations volontairement signées par le gouvernement allemand permettaient d’aider les survivants à survivre le moins mal possible – ce qui encore une fois n’est pas à négliger, mais c’était aussi reconnaître ce qu’avait été la shoah réalisée au nom de peuple allemand. C’était évidemment insuffisant pour « réparer », mais dans les années 1950 que pouvait-on faire d’autre ?
La reconnaissance de la vérité et le souci d’assurer des conditions de vie décente sont une étape indispensable. Mais tout n’est pas dit. La mémoire des injustices et des humiliations se transmettent aux générations suivantes. Si leur destin a constitué les harkis en communauté de destin, leurs descendants appartiennent également à cette communauté, même s’ils sont nés et ont été socialisés en France et même s’ils appartiennent pleinement à la communauté nationale, cela va de soi. C’est pour eux que la vérité importe. Il faut qu’ils ne soient pas honteux de leurs parents parce que cette honte, si elle existe, est fondée sur le mensonge. Il ne s’agit pas d’oublier – ce qui d’ailleurs n’est pas possible, comme le disait ma mère on est toujours plus de sa famille qu’on le croit. Mais il importe de « dépasser » cette mémoire douloureuse en l’intégrant dans un projet de vie. Il faut les aider matériellement parce qu’il ne faut pas sous-estimer les conditions matérielles de la vie… Mais les compensations financières matérialisent aussi la reconnaissance de la dette morale que l’Etat français doit assumer, elles ont une valeur morale et symbolique.
Concrètement elles peuvent contribuer à ce que les victimes et aujourd’hui leurs descendants ne s’installent pas dans le statut de victimes qui les empêcherait d’affirmer un projet de vie. Le passé ne doit pas les empêcher d’agir et de nourrir le projet de s’intégrer pleinement dans une société qui est la leur. Il faut résister aux effets pervers de la victimisation dans laquelle nous sombrons volontiers aujourd’hui, victimisation qui amollit la volonté, nourrit le ressentiment et empêche de se créer un destin. Il faut les aider à ne pas s’installer dans le statut de victime, celui qui vous empêche de poursuivre votre propre chemin.
Mais il faut aussi agir pour redonner la considération et l’estime à ceux qui ont été les victimes de ce piège historique, à faire de cette mémoire un instrument de vie. Rétablir la vérité et aider les descendants à dépasser, sans l’oublier, le traumatisme, c’est ce que peut faire un pouvoir démocratique qui entend « réparer ». Il faut affirmer bien fort que la meilleure réparation pour les victimes, c’est le succès et le bonheur de leurs enfants et de leurs petits-enfants. C’est à cela qu’il faut travailler tous ensemble. C’est possible puisque nous vivons dans une démocratie et que celle-ci a pour vertu non pas de ne pas avoir commis de crimes, mais de reconnaître ses crimes. Il faut donc que tous nous y travaillions.
Dominique Schnapper
Merci à tous les quatre et à vous, Madame la ministre.
Je ne suis pas sûr que ce que je veux dire soit exactement un hommage aux Harkis. Donc, je vais retirer cette plaque. Vous avez rendu hommage vous-mêmes, à vos pères, vos frères. Je vais essayer qu’ensemble, on passe une étape collective. Donc à dessein, je vais enlever cette plaque. Et si j’ai voulu
que vous soyez tous et toutes ici réunis, c’est justement parce que je suis convaincu que cette page de notre histoire vaut mieux qu’un hommage, un jour chaque année, qui lui est réservé.
Madame la Ministre, merci beaucoup pour votre travail et vos mots aujourd’hui,
Mesdames et Messieurs les Députés,
Mesdames et Messieurs les Sénateurs,
Monsieur le Grand Chancelier de la Légion d’Honneur,
Mesdames Messieurs les Elus,
Messieurs les Officiers généraux,
Madame la directrice générale de l'Office national des anciens combattants et victimes de guerre,
Mesdames et Messieurs les Présidents de fondations et associations mémorielles ou d'entraide,
Mesdames et Messieurs les Universitaires, Historiens et Experts, cher Benjamin en particulier,
Mesdames et Messieurs,
L'histoire des Harkis est grande et douloureuse. Elle est grande parce que c'est une histoire de soldats, une histoire d'honneur, une histoire de Françaises et de Français et l'histoire des Français. Elle est douloureuse, et vos mots à tous les quatre l'ont montré, parce que c'est l'histoire de déchirures.
Déchirure entre deux pays, déchirure avec votre terre natale, déchirure avec vos familles restées en Algérie, vos amis, vos langues, vos cultures et traditions, mais toujours déchirure entre Français. C'est la tragédie d'une fidélité bafouée plusieurs fois par les massacres en Algérie, par l'exclusion en France, puis par le déni et refus de reconnaissance. Votre histoire, c’est la nôtre et elle est désormais bien établie. Elle a été dite, écrite par vous-mêmes, par les témoins, par les historiens, mais elle reste trop mal connue des Français. C'est pourquoi j'ai fixé ce rendez-vous. Ce n'est pas un rendez-vous avec les Harkis, c'est un rendez-vous avec la vérité, avec la France, avec une part de nous. Je le dis aujourd'hui, avant la journée du 25 septembre, parce que je sais combien ce que nous sommes en train de nous dire va réveiller de débats multiples édictant notre histoire avec la guerre d'Algérie.
J'assume pleinement que la France reconnaisse la multitude de ces mémoires et de ces destins avec cette guerre. Ces histoires sont parallèles. Elles sont parfois irréconciliables. Elles sont pour certaines incomparables les unes entre les autres. Il nous faut les assumer tous et reconnaître chacune pour pouvoir avancer et vivre ensemble. Je ne jugerai pas devant vous aujourd’hui le choix des dirigeants d’alors, ce n’est pas le rôle d’un président de la République. C’est le rôle des historiens et c’est leur rôle de pouvoir le faire librement. Et je ne sais pas dire ce que j’aurais fait à leur place. Cette guerre d’indépendance pour les uns, civile pour les autres, a bousculé en profondeur notre pays et tant et tant de générations. Il s’est passé alors, entre Françaises et Français, ce décret, entre Athènes et Sparte, celui du silence et du devoir d’oubli pour pouvoir simplement continuer de vivre ensemble, ne plus dire, refuser de se souvenir, d'ouvrir chaque sujet. Vos histoires que vous avez rappelées et vos colères qui s'expriment et continuent de s'exprimer disent combien ces moments, aujourd'hui, nous devons avoir le courage de les rouvrir, de dire et d'assumer, mais sans que cela enlève quoi que ce soit aux autres mémoires, et sans que cela nous conduise à devoir comparer les destins ou avoir un système mémoires, et sans que cela nous conduise à devoir comparer les destins ou avoir un systèmed'équivalence. Mais chacun doit maintenant savoir s'écouter, reconnaître et donner une place, la place qui lui revient, à chaque mémoire dans la vie de notre nation.
Vos aïeux avaient servi la France pendant la Première Guerre mondiale. Vos grands-pères et vos pères l'avaient servi pendant la Seconde. Vous, ici, parmi nous, cher Serge, ou vos pères, l'ont servi durant la guerre d'Algérie. Et quelles que soient les raisons de leur engagement sous notre drapeau, les Harkis ont prêté leurs forces, ont versé leur sang, ont donné leur vie pour la France, entre 1914 et 1918, 39 et 45, 54 et 62. Ils furent près de 200 000 à porter nos couleurs. Ils étaient interprètes, éclaireurs, pisteurs, guerriers, montaient la garde, tenaient des positions, sécurisaient des points stratégiques, parfois des
villages entiers ou des espaces immenses. Ils combattaient. Dans l’Atlas, dans les Aurès, en Kabylie, en ville comme à la campagne, partout en Algérie, les Harkis ont rendu des services éminents à la France. Ils ont servi la France. Ils ont tout risqué, leurs biens, leurs vies, celles de leurs familles, et beaucoup ont tout perdu. La France a des devoirs à l'égard de ceux qui la servent et la défendent.
Les Harkis ont été, ont toujours été et sont des Français, par le sang versé, les combats choisis et leur naissance, à chaque fois. Or, après la guerre d'Algérie, la France a manqué à ses devoirs envers les Harkis, leurs femmes, leurs enfants. Le 19 mars 1962, c'était la fin des combats, le soulagement pour beaucoup, l'angoisse pour tant d'autres, le début du calvaire pour les Harkis, la cruauté des représailles, l'exil ou la mort. La plupart n'eurent pas le choix, même s’il est des officiers qui ont tenu leur serment de fidélité à l’égard de leurs hommes. Ce fut le cas du Général François MEYER que j’élève aujourd’hui à la dignité de Grand’croix de la Légion d'honneur, qui désobéit afin de faire embarquer pour la France des dizaines d'hommes et de familles. Du lieutenant Yvan DURAND, qui accompagna sa Harka jusqu'à Ongles dans les Alpes-de-Haute-Provence, ou d'André WORMSER, qui défendit les Harkis toute sa vie. J'adresse le salut de la France à ces hommes lucides et fidèles. Ils eurent la grandeur d'âme et la bonté de cœur qui manqua alors à notre pays.
Entre l'hiver et le printemps 1962, la France, elle, a tergiversé pour ouvrir ses portes aux Harkis avec un premier oui pour une poignée d'entre eux, une dizaine de milliers, puis un refus par peur d'infiltration terroriste d'un bord ou de l'autre, avec interdiction à quiconque de les aider. Enfin, et c'est l'honneur de Georges POMPIDOU, la décision formelle de les accueillir. Il ne s'agit pas ici, comme je le disais, de juger les décideurs d'alors. Ça n'est pas mon rôle. C'est le travail de mémoire et d'histoire, des universitaires et des historiens. Mais les faits sont là. Têtus, cruels. Cet accueil ne fut pas digne et la moitié des Harkis rapatriés fut reléguée, parfois des années, dans des camps et des hameaux de forestage. Il y eut même des familles de Harkis parqués dans des prisons, oui, des prisons. Ils avaient dû quitter une terre qui était la leur et celle de leurs ancêtres, la terre qui abritait leurs maisons, leurs biens, leurs traditions, la terre où ils avaient construit leur vie et forgé leur espérance parce qu'ils avaient porté les armes de la France. Et voilà qu'ils trouvaient dans ce pays qu’ils avaient servis, notre
pays, leurs pays, non pas un asile, mais un carcan, non pas l'hospitalité, mais l'hostilité. Les barreaux et les barbelés, les couvre-feux, le rationnement, le froid, la faim, la promiscuité, la maladie, l'exclusion, l'arbitraire et le racisme, au mépris de toutes les valeurs qui fondent la France, au mépris du droit, au mépris de toute justice. Les portes de l'école de la République fermées à leurs enfants, à vos enfants, à vous, au mépris de l'avenir. Ce dont je parle, étaient les années 1960 et 1970 et c'était en France. Ce fut le terrible sort des Harkis : exclus, assujettis, empêchés, français, toujours bannis de leur sol natal, bafoués sur leur sol d'accueil. Pour vous et pour vos familles, ce fut un abandon, un abandon de la République française reconnue depuis 2001, vous l'avez rappelé un instant, et jusqu'aux responsabilités reconnues en septembre 2016.
Tous mes prédécesseurs se sont exprimés depuis 2001 sur ce sujet. Et je vous le dis pour la France, la France des Lumières et des droits de l'Homme, ce fut pire. Un manquement à elle-même, à ce qu'elle veut être, à ce qu'elle doit être. Oui, en privant les Anciens combattants, leurs femmes, leurs enfants de leurs libertés fondamentales, en n’offrant pas à leurs enfants la même éducation qu'à tous les jeunes Français, en ne voulant pas reconnaître, malgré vos combats, malgré le travail d'Histoire et tant de lettres dictées. La France leur a lâché la main et leur a tourné le dos. Face à ceux qui l'avaient lettres dictées. La France leur a lâché la main et leur a tourné le dos. Face à ceux qui l'avaient loyalement servi, notre pays n'a été fidèle ni à son Histoire ni à ses valeurs.
C'est pourquoi aujourd'hui, au nom de la France, je dis aux Harkis et à leurs enfants, à voix haute et solennelle, que la République a alors contracté à leur égard une dette. Aux combattants, je veux dire notre reconnaissance. Nous n’oublierons pas. Aux combattants abandonnés, à leurs familles qui ont subi les camps, la prison, le déni, je demande pardon, nous n’oublierons pas.
Depuis, la République s’est ressaisie, elle a reconnu les sacrifices consentis et les souffrances infligées. Le temps des non-dits, le temps du déni étaient révolus. La France s’est engagée au côté des Harkis sur la voie de la vérité et de la justice ; elle a agi, voté des lois, aidé, soutenu, entamé un travail de mémoire que nous avons intensifié ces dernières années. Elle honore les Harkis et leurs enfants, leur histoire, leur résilience, leur combat.
Et aujourd'hui encore, je remettrai dans quelques instants les insignes de nos ordres nationaux de la Légion d'honneur et du Mérite à Monsieur Salah ABDLEKRIM, qui a versé son sang pour la France et qui a été cité deux fois au combat, à Madame Bornia TARALL, fille de Harkis qui s'est engagée sans relâche pour la diversité, l'égalité des chances et l'identité.
Il s'agit désormais de réparer autant qu'il est possible ces déchirures : déchirures de l'histoire, que vous portez dans votre chair. Le souvenir des Harkis, l'honneur des Harkis doit être gravé dans la mémoire nationale. Cette histoire, nous la racontons, nous l’enseignons, et nous continuerons d'en panser les
plaies tant qu'elles ne seront pas refermées, par des paroles de vérité, des gestes de mémoire et des actes de justice.
C'est pourquoi le Gouvernement portera, avant la fin de l'année, un projet visant à inscrire dans le marbre de nos lois la reconnaissanc et la réparation à l'égard des Harkis. Je m'y engage. Cette loi n'aura pas vocation à dire ce qu'est l'histoire ou la vérité, parce que je crois profondément que ce n'est pas le rôle d'une loi, c'est le travail des historiens, une fois encore.
Je vous entends depuis tout à l'heure, Madame, parler à voix haute, y compris quand celles et ceux qui défendent vos causes sont là. Et c'est pour cela aussi... Je sais que les colères sont irréconciliables, mais si vous m’autorisez... Madame, ce que ce je veux vous dire... Mais vous êtes là. Mais je sais. Mais ce dont nous parlons aujourd'hui ...Mais dans ce que vous exprimez, Madame, ce qu'exprime Monsieur. Oui, mais je ne fais pas de promesses en l’air, mais il y a quelque chose. Venez, venez. Non, asseyez-vous. Ce que je voudrais vous faire comprendre, c'est que, y compris entre vous, ce que vous avez... Mais je sais. Vous êtes là, Madame, et je suis là devant vous. Ce que je voudrais vous faire comprendre, à vous, parce que je vous entends depuis tout à l’heure, madame, vous vous exprimez à chaque fois que l’un de vos collègues s’expriment. Vous ne m’écoutez pas tellement et vous dites votre colère. Et je vous connais aussi. Mais oui, mais je peux. Je vais finir et je le fais avec beaucoup d’affection et beaucoup de respect. Mais ce que je voudrais vous dire ...
Ce qu’il s’est passé et que nous décrivons depuis tout à l’heure qui a été dit que j’essaie d’exprimer avec les mots qui sont les miens, c’est la singularité de ce que vous avez vécu dans l'histoire de France et de la République. Mais cette singularité, elle a été aussi marquée par des divisions profondes. Et le fait, cela m'a frappé à chaque fois que je suis allé au contact de vous sur le terrain, le fait que vous ne vous reconnaissez pas les uns les autres dans vos combats. Mais ce faisant, je le dis très sincèrement et c'est vrai de tous les combats mémoriels qui ont été menés par plusieurs qui sont là et qui portent aussi d'autres mémoires, d'autres combats d'oublis. Chaque histoire est singulière. Ce que vous décrivez, madame, et qui est bouleversant est singulier. Mais est-ce plus respectable... Non, mais, est-ce plus respectable, plus important, plus fort, plus juste que la douleur de votre voisin de devant ou que celle de Serge CAREL, qui s'est battu et a été abandonné sur le terrain, que d'autres pour justifier de crier plus fort ? Pas forcément. Votre force est aussi dans le respect des mémoires des uns des autres. Et donc, ce que je voudrais vous faire aussi toucher du doigt, c'est qu'il y a quelque chose d’épuisant pour certains qui mènent vos propres combats et vous défendent de considérer que plus fort que la reconnaissance ou le chemin que nous faisons ensemble et qui ne répare pas ce qui s'est passé et qui ne pourra pas le réparer. Il y a aussi la capacité, à un moment donné, d'essayer d'accepter collectivement que la colère se projette en goût de l'avenir. Il n’y a aucun mot qui réparera vos brûlures et ce que vous avez vécu. Mais il n’y a aucun, madame, vous avez raison. Mais il y a par contre, je ne
pourrai rien y faire à cela, par des mots, réparer 40 ans, que dis-je, 60 ans de la vie de notre nation.
Mais nous devons tous ensemble faire ce chemin, de là où nous sommes, avec les injustices subies pour essayer de réconcilier et d’avancer et donc pour poursuivre. Je disais que nous porterons, le Gouvernement portera, et madame la Ministre en orchestrera les travaux avec le travail, et je sais que nos députés et sénateurs qui sont ici présents y œuvreront : un texte de loi de reconnaissance et de réparation.
Je le disais, ce texte n'a pas vocation à dire ce qu’est l'histoire, ce n'est pas le travail d'un texte de loi. Cela fut parfois fait. Je pense que ce n'est pas le rôle d'une loi. Et parce que je ne veux pas non plus qu'on rentre dans une concurrence mémorielle sur ce sujet. Pourquoi ? Parce que je sais très bien ce que vont me dire les rapatriés, les appelés, nos militaires. Ce n'est pas à une loi de... en quelque sorte venir ici faire le lit de l'histoire, ce n’est pas ça le rôle d'une loi. Ce qui est vrai, c'est qu'il y a une singularité pour ce qui est des Harkis. C'est l'abandon militaire et c'est ensuite l'abandon et la maltraitance des familles sur notre sol. Ça, c'est une spécificité. Et donc, la reconnaissance de ces deux faits, qui sont des caractéristiques historiquement établies qui sont des singularités de la question harki doivent être mises dans cette loi, et cette loi aura vocation, c’est son objet principal et c’est ce qui justifie un texte de loi, à mettre en place une commission nationale adossée au service de l’Office national des anciens combattants et victimes de guerre et qui supervisera le processus de recueil de leurs témoignages et de réparation.
Sur ce sujet, je serai clair : il s’agit de réparer d’abord pour la première génération et de pouvoir revaloriser les allocations pour les anciens combattants et leurs veuves, c’est un devoir. Pourquoi ? Parce que, là aussi, ils furent moins bien traités que les autres et c’est un fait établi. Ensuite, il s’agit de recueillir les témoignages et de réparer pour la deuxième génération qui a eu à vivre les camps, qui a eu à vivre les hameaux de forestage ou les foyers dans des conditions de vie indignes et l’absence d’accès à l’école pour les enfants. Et je le dis aussi là de manière très claire : il ne s'agit pas d'établir des réparations pour d'autres qui ont vécu dans d'autres situations parce que les cas sont aussi individuels. Il ne s'agit pas d'établir des réparations pour les générations suivantes ou pour des femmes et des hommes qui n'ont pas eu à vivre les mêmes conditions. Parce que sinon, nous ouvririons des situations qui, là aussi, en quelque sorte, ne seraient pas justes par rapport à ce que la République a eu à connaître. Je touche encore du cœur de la singularité aujourd'hui de ce dont nous parlons. Par contre, je pense que cette commission de réparation a vocation aussi à traiter de la question des enfants et petits-enfants pour leur éducation et leur accès à l'égalité des chances.
Vous l'avez dit, aucune réparation pécuniaire ne réparera ce qu’il s'est passé, il y a des réparations à établir parce qu'en l'espèce il s'agit de la République française. C'est aussi une des singularités de la question Harkis. Ce n'est pas une parenthèse de notre histoire, c'est la République qui a fait tout ça, jusqu'à récemment, et donc elle doit en assumer les conditions de réparation pour celles et ceux qui ont eu à le connaître. Mais nous devons aussi accompagner dans la formation des enfants et des petits-enfants, les familles qui le souhaitent et aux côtés desquelles nous devons nous trouver.
C'est l'honneur des Harkis que de s'être battus pour la France et de s'être pleinement intégrés dans la communauté nationale par le sang, par le travail, malgré les obstacles et les embûches, en lui apportant les richesses, les talents qui sont les siennes. Une harka, littéralement, c'est un groupe mobile. Le Harki, littéralement, c'est celui qui avance.
Aujourd'hui, les filles et les fils de Harkis sont officiers, sous-officiers, professeurs, historiens, avocats, magistrats, cadres supérieurs, journalistes, diplomates, maires, peintres, écrivains, cinéastes, artisans, commerçants. Ce sont des destins français exemplaires et ils sont notre fierté. Et à cet égard, que l'on commerçants.
Ce sont des destins français exemplaires et ils sont notre fierté. Et à cet égard, que l'on m'entende bien ce matin, partout dans le pays, quand on insulte un Harki, on insulte la France.
Pendant des décennies, vous avez vécu dans un pays où ce que vous êtes était une insulte et est encore une insulte dans beaucoup d'endroits de la République. Et pendant des décennies, vous avez quitté un sol où l'obsession des dirigeants jusqu'à aujourd'hui était et est encore de ne pas vous laisser revenir, y compris pour vous recueillir sur la tombe de vos parents et grands-parents.
Il y a quelque chose de l'apatride mémoriel et de justice dans ce qui est la condition des Harkis. C'est ce qui fait cette singularité dans la République. Et c'est aujourd'hui ce que je veux qu'ensemble nous puissions réparer. Nous ne réparons pas chaque destin. Je le mesure, parce qu’il y a quelque chose d’inconsolable dans ce que vous avez pu vivre chacune et chacun d’entre vous. Mais nous avons à rebâtir pour vous même et pour ce qu’est la nation Française, une justice qui redonne à chacun sa place : la juste part de la mémoire, la réparation de ce qui a été subi, et la juste fierté de ce que vous êtes.
C'est pourquoi c'est l'honneur de la France de reconnaître et de réparer ses manquements, d'accompagner et de soutenir ceux qui l'ont défendu, d'accorder la vérité et la gratitude de la République française à ses enfants qui l'ont servi et qui ont souffert. Enfin ! Mais ce chemin, ce parcours de reconnaissance, continuera à prendre du temps, je le sais. Et il nous faudra beaucoup d'humilité, mais par cette loi, je veux que nous puissions écrire un moment qui permettra enfin à des familles, des enfants, des petits enfants d'être reconnus, restaurés dans leur dignité et fiers d'être ce qu'ils sont, d'être français.
Vive la République et vive la France !
Général François MEYER, au nom de la République française, nous vous élevons à la dignité de Grand’croix de l'Ordre national de la Légion d'Honneur.
Monsieur Salah ABDELKRIM, au nom de la République française, nous vous faisons Chevalier de la Légion d'honneur.
Madame Bornia TARALL, au nom de la République française, nous vous faisons Chevalier de l’ordre national du Mérite.
Merci à vous.
Mesdames, Messieurs qui représentez ici les associations de Harkis et de leurs familles…. Je dois tout d’abord excuser M. Emmanuel Macron… Un agenda particulièrement chargé en ce 18 mars l’empêche d’être parmi nous. Il vous transmet toute son amitié et souhaite une pleine réussite à ce colloque national.
Le discours du Président de la République en date du 25 septembre 2016 à l’occasion de la journée nationale d’hommage aux membres des troupes supplétives de l’armée française en Algérie a marqué les esprits et les consciences. De manière claire, la responsabilité des gouvernements français dans l'abandon des Harkis, dans les massacres de ceux restés en Algérie, et dans les conditions d'accueil inhumaines des familles transférées dans les camps en France a été relevée et affirmée à cette occasion.
C’est une étape importante… elle était nécessaire dans ce long combat que vous menez depuis tant d’années pour l’affirmation et la reconnaissance de vos droits. Une autre étape importante se dessine devant nous.
L’équivalent d’une vie d’homme s’est écoulé depuis la fin de la guerre d’Algérie. La génération d’Emmanuel Macron ne l’a pas connue. Sommes-nous aujourd’hui condamnés à vivre à jamais dans l’ombre de ce traumatisme pour nos deux pays ? Il est temps de clôturer ce deuil. Il faut pour cela avoir le courage de dire les choses et de ne céder à aucune simplification.
C’est ce discours de vérité et de complexité qui a toujours été tenu par Emmanuel Macron : rappeler que des actes inhumains, de la barbarie, de la torture, ont été commis. Rappeler que cette guerre a brulé irrémédiablement l’âme de milliers de jeunes soldats français.
À tous nos anciens combattants, il leur dit ici : "Vous êtes nos enfants. Les enfants de la France. Les enfants d’un État qui doit assumer ses responsabilités." Les propos n’étaient pas destinés contre vous. En rien. C’était simplement reconnaître une responsabilité de l’État français.
Et nous ne devons pas nous dérober. Mais aussi dire que la colonisation a introduit une modernité par effraction. Nous devons dire que des dizaines de milliers d’instituteurs, de médecins, de fermiers ont beaucoup donné à l’Algérie ; nous devons dire que les pieds-noirs ont été les victimes de la politique algérienne de la France, avant comme après la guerre. En réalité, une colonisation à sens unique qui ne leur a pas laissé d’autre issue que de quitter brutalement et à jamais les terres où ils étaient nés. C’était une injustice, et c’est encore une souffrance.
Mais il faut également dire, dans le sillage du président de la République, que les harkis ont été les victimes de la trahison de l’État français : que nous les avons abandonnés, alors qu’ils s’étaient battus dans nos rangs. C’était une trahison.
Mais il est temps de laisser le passé … passer. Sans repentance. Mais sans refoulé aussi, sans chercher à instrumentaliser notre Histoire, ni les propos qui ont été tenus par Emmanuel Macron à des fins clientélistes ou électoralistes.
La France et l’Algérie doivent cesser de se renvoyer leur passé à la figure, directement ou implicitement. L’Algérie occupe dans notre Histoire et dans notre présent une place bien plus large, bien plus profonde, bien plus importante encore que celle de la guerre d’Algérie.
Nous pouvons construire une relation nouvelle une relation qui n’enlève rien à la mémoire de chacun ; une relation qui reconnaît la mémoire et les blessures de chacun ; une relation qui reconnaît les douleurs de tous, Mais qui, en les réconciliant les dépasse pour regarder vers l’avant.
Nous avons rappelé à plusieurs reprises qu’un pays ne trouve sa grandeur que dès lors qu’il sait se regarder avec la lucidité nécessaire tant dans ses grandeurs que dans ses souffrances, sans taire les fautes. C’est cela le défi de cette génération : construire un futur apaisé, pour notre pays, la France, et pour notre relation avec l’Algérie.
Nous devons également regarder la nécessité de nous accepter ensemble dans notre communauté nationale, avec notre histoire, nos traditions, nos différences et non revenir à un obscurantisme des idées, un déni des différences. Nos différences sont une richesse commune. La belle diversité de notre pays.
C’est aussi pour notre pays que nous estimons nécessaire de réconcilier les mémoires et je suis venu ici pour porter ce message de paix et de fraternité.
Nous affirmons que l’égalité sera une des clefs de voûte de notre projet pour construire une société solidaire et fraternelle, seule garante d’un vrai vivre ensemble, un vivre ensemble qui se doit de regarder la vérité historique avec courage et lucidité.
En termes de méthode, nous devons nous retrouver entre personnes responsables et laisser la démagogie derrière la porte de l’intolérance. Avant le 1er tour, nous vous proposons la tenue d’une réunion avec les représentants du comité national, au QG du mouvement En Marche.
Nous vous entendons dans la nécessité d’aller plus loin…
Le terrain réglementaire peut être une bonne et une rapide réponse ainsi que la suite logique à la reconnaissance de la responsabilité et à la recherche d’une réparation.
Nous entendons passer avec vous un contrat de devoirs.
D’abord un devoir de reconnaissance :
Emmanuel Macron confirmera la reconnaissance de l'abandon par La France des harkis (reconnaissance effectuée par le Président François Hollande le 25 septembre 2016) ; Mais cette reconnaissance sera prolongée par :
Ensuite un devoir d’écoute :
Emmanuel Macron recevra les responsables d'associations représentatives des harkis au cours des 6 premiers mois de son mandat. Il donnera des directives au Secrétaire d'Etat au Monde Combattant et à la Mémoire afin qu'il assure une mission d'écoute maximum ; comme indiqué précédemment une réunion au QG d’En Marche pourra être envisagée d’ici le premier tour avec un représentant d’En Marche ; elle fixera un cap et une méthode.
Enfin cela se traduira par un devoir de soutien :
Emmanuel Macron commandera une étude sur les indemnisations accordées aux harkis depuis 1962. Les résultats de cette étude seront connus dans les 6 premiers mois du quinquennat. L'étude sera réalisée en dialogue avec les associations et fera apparaître les comparaisons avec les autres victimes reconnues par l'Etat (victimes combattantes, victimes du terrorisme, victimes de la Shoah).
En fonction des résultats de cette étude, des textes réglementaires permettront de régler les derniers contentieux rapidement et efficacement dans cette logique de réparation souhaitable.
Enfin une écoute particulière sera apportée aux descendants de harkis afin de les épauler dans leur recherche d'emploi et de formation.
Par la concertation et par les textes réglementaires, nous forgerons nos obligations réciproques pour construire une communauté de destin. Elle sera le ciment d’un avenir commun que nous entendons construire non dans la défiance, mais dans la confiance.
Je vous remercie.
À Perpignan, l'ex-président a rendu hommage aux harkis à Perpignan, près du camp de Rivesaltes où ont été parqués de nombreux harkis après la guerre d'Algérie.
Source AFP
Modifié le 25/09/2016 à 09:35 - Publié le 24/09/2016 à 19:48 | Le Point.fr
Nicolas Sarkozy rattrape son retard sur Alain Juppé dans les sondages. Image d'illustration. © AFP/ THOMAS SAMSON
Nicolas Sarkozy, candidat à la primaire de la droite, a précisé sa déclaration sur les « ancêtres gaulois » contestée depuis quelques jours. « Nos ancêtres étaient les Gaulois, ils étaient aussi les rois de France, les Lumières, Napoléon, les grands républicains », a lancé à Perpignan l'ex-président pour explique ses propos de Franconville (Val-d'Oise) qui avaient fait polémique. « Nos ancêtres étaient aussi les soldats de la Légion étrangère qui se battaient à Camerone et les tirailleurs sénégalais », a-t-il martelé devant plusieurs milliers de militants réunis au Palais des congrès de Perpignan. « Nos ancêtres étaient les troupes coloniales mortes au chemin des dames lors de la Première Guerre mondiale, les tirailleurs musulmans morts à Monte Cassino », a insisté l'ancien président de la République, en référence au mont d'Italie où les Alliés ont livré plusieurs batailles contre les Allemands en 1944.
« Le drame des harkis est celui de toute la France »
En meeting lundi à Franconville (Val-d'Oise), Nicolas Sarkozy avait affirmé que « nous ne nous contenterons plus d'une intégration qui ne marche plus, nous exigerons l'assimilation. Dès que vous devenez français, vos ancêtres sont gaulois. » Ces déclarations avaient provoqué un tollé à droite comme à gauche. À Perpignan, non loin du camp de Rivesaltes (Pyrénées-Orientales) où ont été parqués de nombreux harkis après la guerre d'Algérie, Sarkozy a également rendu un hommage à ces Algériens anciens supplétifs de l'armée française, dont il avait rencontré des représentants dans l'après-midi. « Le drame des harkis est celui de toute la France. [...] Une tache de sang indélébile reste sur notre drapeau », a-t-il dit.
La France ? « Pas le fruit du hasard
« À travers les harkis, c'est tout notre roman national qui s'écrit : celui des femmes et des hommes du monde entier qui ont adopté la France, ses valeurs, sa nation. Parmi eux, une place privilégiée est faite aux Français musulmans morts pour notre liberté et notre drapeau », a-t-il ajouté, voyant dans les harkis la preuve que « la France n'est pas le fruit du hasard », mais « de la volonté ». « La France est la mère adoptive de tous ceux qui veulent l'aimer. Elle ne regarde pas l'arbre généalogique », a-t-il lancé sous des tonnerres d'applaudissements.
Lors d'une table ronde avec des représentants d'associations harkies au Centre de documentation de la présence française en Algérie à Perpignan, Nicolas Sarkozy avait auparavant estimé que les harkis, eux aussi, avaient pour ancêtres les Gaulois. « Pour moi, les harkis, à la minute où ils sont français, leurs ancêtres sont les Gaulois, pas leurs ancêtres biologiques évidemment », a-t-il dit. « À la minute où on devient français, ce sont nos ancêtres collectifs, au sens du roman national. »
AJIR : Association Justice Information Réparation, pour les Harkis. Contact : ajirfrancecontact@gmail.com Association loi 1901 - tout don à l'association est éligible aux réductions d'impôts