02/05/2024
L’article qui devait paraître ce matin (3 mai) dans deux grand quotidiens régionaux d’Occitanie et de Nouvelle Aquitaine a été mis en ligne dès hier soir sous format numérique.
Le Directeur de cabinet de Madame la Secrétaire d’Etat aux anciens combattants, Patricia Mirallès, a appelé le Président d’AJIR hier soir pour l'informer que l'ensemble des personnes passées par Bias ou Saint Maurice, et encore vivantes, seront indemnisées sur la base de la recommandation de la CEDH. C’est ce que déclare Madame Mirallès dans l’article. On s’en réjouit.
La CEDH a estimé que le montant (1000€ par an) voté en 2022 pour réparation des conditions de vie indignes subies à Bias était insuffisant. Elle préconisait 4 000 euros par an. Mais juridiquement, cela ne concernait que Bias, que les années 1974 et 1975 et que les 4 plaignants).
Le Gouvernement vient de décider que ce seront toutes les personnes - et pour toute la durée entre 1962 et 1975 - qui seront traitées sur la base de 4000€ par année passée à Bias ou Saint Maurice (moins ce qui a été déjà perçu dans le cadre de la loi de 23 juin 2022).
C'est donc un acte politique fort qui dépasse la contrainte juridique.
Ce qu'AJIR avait souligné en écrivant au Président de la République pour lui demander d’interpréter l’arrêt dans son esprit et non de l’appliquer à la lettre.
Cela représente environ 30 millions d'euros supplémentaires par rapport à la prévision de 300 millions selon le Directeur de Cabinet. Compte tenu du contexte budgétaire, on imagine bien qu'un arbitrage a eu lieu au sommet de l'Etat.
Cela nécessitera un vote lors de la loi de finances rectificative en fin d'année et les paiements ne pourront donc avoir lieu qu'en 2025.
On félicite à nouveau Charles Tamazount pour sa ténacité qui a permis l’arrêt de la CEDH. Cet arrêt a pu servir de levier pour une décision politique dépassant les injonctions juridiques de la CEDH.
On se réjouit donc pour les familles passées par Bias et Saint Maurice l’Ardoise de la décision du Gouvernement et donc du Président de la République. Mais il ne faudrait pas s’arrêter en si bon chemin.
Car pour l'instant il n'est pas prévu de revoir la réparation pour les autres structures de toutes natures aux conditions de vie indignes alors que la loi de 2022 et la CNIH ont traité de manière égale toutes les structures diverses et variées ayant fait subir des conditions de vie indignes.
Pour l’instant, rien n’est prévu pour ceux qui ne sont passés par aucune de ces structures car ayant fui l’Algérie par leurs propres moyens suite à leur abandon après le 19 mars 1962. Pourtant, ce sont eux qui ont le plus souffert de l’abandon.
Un sentiment d’injustice demeurera tant que ne sera pas créée une vraie commission d’évaluation des préjudices. La mobilisation auprès des politiques doit donc continuer.
Enfin, pour « apaiser les mémoires » comme le dit Madame Mirallès et comme le souhaite le Président, il ne faut pas laisser l’oubli ensevelir la mémoire et l’histoire de ces combattants. C’est pourquoi une Fondation est indispensable et fait partie de la réparation due aux vivants et aux morts.
AJIR pour les Harkis (Association Justice, Information Réparation) Créée en 1998, fédération nationale regroupant 43 associations et présentes dans 54 départements.
26/04/2024
Suite à un récent arrêt de la Cour européenne des droits de l’Homme qui porte condamnation de la France dans le dossier Tamazount (4 avril 2024), soulignant notamment que « les sommes allouées aux requérants sont modiques par comparaison avec ce qu’elle octroie généralement dans les affaires relatives à des conditions de détention indignes et déduit que ces sommes n’ont pas couvert les préjudices liés aux autres violations de la Convention. » La question de la reconnaissance et de l’indemnisation des harkis est de nouveau sur le devant de l’actualité.
Un front que connaît bien Fatima Laouar, présidente d’Association justice information réparation ( AJIR) pour les Harkis Moselle et déléguée Grand Est, celle-ci œuvrant au côté du président national du mouvement, Mohand Hamoumou, pour la défense des intérêts des harkis et de leurs ayants droit.
Lenteurs, erreurs
Car depuis la loi du 23 février 2022, si le principe de l’indemnisation des anciens supplétifs de l’armée française durant le conflit algérien est acté, ceux-ci ayant été reconnus comme victimes, les dossiers avancent beaucoup trop lentement, en Grand Est comme partout ailleurs en France : retards, erreurs, difficultés à joindre les organismes départementaux en charge de l’instruction des dossiers, les dysfonctionnements s’accumulent. De même, quelques «curiosités» sont pointées du doigt : par exemple le fait qu'une décision implicite de rejet intervient à l’expiration d’un délai de six mois alors que la règle générale est de deux mois. Ce qui ralentit les processus. « Au sein de l’ONaCVG, huit personnes sont en charge des dossiers et des recrutements sont en cours. Mais les choses ne progressent pas assez vite : sur 34 000 personnes éligibles environ, 15 456 dossiers ont été présentés à ce jour dont la grande majorité a reçu un avis favorable (13 683 dont 3 657 de la première génération et 10 026 de la seconde). Mais à ce rythme, il faudra encore quatre ans au moins pour épuiser l’ensemble. Or, les personnes concernées sont âgées, beaucoup sont malades. Surtout, nous ne comprenons pas pourquoi c’est si lent. C’est presque vexant, alors que la plupart des dossiers sont très simples : il n’y a que 792 cas qui font l’objet d’un recours actuellement », détaille encore Fatima Laouar, qui travaille sur ces cas particuliers avec les défenseurs des droits en Moselle, dans les Vosges et dans les départements alsaciens.
Courrier à Emmanuel Macron
Dans un courrier récent adressé à Emmanuel Macron, le président Hamoumou constate que « faute de moyens nous dit-on, les dossiers sont traités avec une lenteur exaspérante et des erreurs trop fréquentes. Les résultats de cette commission ne sont donc pas à la hauteur des attentes ». Cela, alors même précise encore Mohand Hamoumou que « L’arrêt récent de la CEDH, à la suite de la plainte de la famille Tamazount, rappelle clairement que la réparation proposée par la loi de 2022 n’est pas adaptée aux préjudices subis. » Et de rappeler : « Par ailleurs, quelles que soient les sommes allouées, certains préjudices sont irréparables au sens d’ineffaçables. Et à avoir trop attendu, la grande majorité des anciens harkis sont hélas partis sans avoir entendu votre demande de pardon ni avoir bénéficié de la loi de 2022.
22/04/2024
Le 19 avril 2024
A Monsieur Emmanuel MACRON
Président de la République
Monsieur le Président,
Le 20 septembre 2021, vous avez eu le courage de demander, au nom de la France, « pardon aux soldats abandonnés et à leurs familles ». Vous avez aussi reconnu, comme vos prédécesseurs, l’abandon après le 19 mars 1962 ainsi que les conditions indignes d’accueil infligées sur le sol métropolitain. Mais vous êtes allé plus loin : vous l’avez fait inscrire dans une loi. De cela, les harkis, leurs familles, leurs amis vous en sont reconnaissants.
Cependant, nous l’avions écrit, la loi votée en 2022 était incomplète voire injuste. Parce qu’il n’y a pas eu de commission d’évaluation des préjudices, préalable indispensable à une juste réparation. La loi applique à ceux ayant vécu dans les camps et hameaux de forestage le barème utilisé par le Conseil d’Etat pour les détenus se plaignant de purger leur peine dans des conditions indignes soit mille euros par an, sans distinction entre diverses situations (camps, hameaux isolés, cités urbaines, etc.). Elle n'a pas évalué les préjudices de ceux qui ont pu fuir les massacres par leurs propres moyens à la suite de l’abandon et de la limitation drastique des rapatriements, excluant injustement de toute réparation la moitié des familles de harkis.
AJIR et d’autres associations avaient proposé des amendements pour combler les manques du projet de loi gouvernemental. Mais ils furent systématiquement rejetés, sans arguments convaincants, par Madame Darrieussecq, Secrétaire d’Etat aux anciens combattants et à la mémoire et par Madame Mirallès, rapporteure de la loi, qui ne furent pas à la hauteur de l'enjeu. Conscients que la réparation parcimonieuse proposée par cette loi ne saurait clore dignement le dossier lancinant des Harkis, de nombreux députés ont affirmé que ce n'était qu'un pas supplémentaire vers la reconnaissance due aux harkis et qu'il faudrait poursuivre le travail engagé sous votre impulsion.
A cette fin, a été décidée la création d'une commission devant suivre et améliorer la loi par des propositions. Hélas ce n'était pas la commission d'évaluation des préjudices que nous avions demandée. Si elle a fait un travail utile pour ajouter des lieux de relégation absents du décret et signalés par AJIR et quelques associations, force est de constater que cette commission n’a pas fait preuve d’audace en termes de propositions. Nous lui avions pourtant remis, ainsi qu’à Madame Mirallès, un rapport de 70 pages avec des propositions argumentées. Elle s’est limitée à valider les indemnisations soumises par l’Onacvg qui, faute de moyens nous dit-on, traite les dossiers avec une lenteur exaspérante et des erreurs trop fréquentes. Les résultats de cette commission ne sont donc pas à la hauteur des attentes malgré son président empathique et très investi.
L’arrêt récent de la CEDH, à la suite de la plainte de la famille Tamazount, rappelle clairement que la réparation proposée par la loi de 2022 n’est pas adaptée aux préjudices subis. Il nous semble donc urgent de tenir compte de l’inadéquation de cette commission par rapport au problème fondamental à traiter : établir une grille hiérarchisée et argumentée des différents préjudices subis par les Harkis et leurs familles, passés ou non par des camps, puis proposer une juste réparation adaptée à chaque catégorie de préjudices reconnus.
Certes, l’arrêt de la CEDH ne vise que les conditions indignes de vie dans le camp de Bias et ne concerne que les 4 plaignants. Certes, la Cour s’interdit d’imposer à l’Etat français, une réparation pour les séjours antérieurs à mai 1974, date de ratification de la convention par la France. Mais nous vous demandons, Monsieur le Président, d’appliquer cet arrêt non à la lettre mais dans son esprit et donc d’étendre à toutes les personnes visées par loi, voire à celles arrivées en France par leurs propres moyens, la réparation préconisée par la CEDH pour les « structures de toute nature » aux conditions de vie indignes. Il est aussi possible de décider un moratoire de 6 mois en attendant les recommandations d’une vraie commission d’évaluation des préjudices.
Par ailleurs, quelles que soient les sommes allouées, certains préjudices sont irréparables au sens d’ineffaçables. Et à avoir trop attendu, la grande majorité des anciens harkis sont hélas partis sans avoir entendu votre demande de pardon ni avoir bénéficié de la loi de 2022. Il reste à préserver leur mémoire et à faire connaître leur histoire. C’est le sens de la nécessité d’une fondation autonome, reconnue d’utilité publique car il n’existe à ce jour aucune fondation pour la mémoire des Harkis et des combattants de l’union française. Elle sera l’aboutissement d’une démarche, que vous avez entreprise avec courage, de reconnaissance et de réparation.
Nous serions très honorés de pouvoir échanger avec vous ou vos conseillers des suites possibles à donner à la loi de 2022 à la lumière de l’arrêt de la CEDH.
Nous vous prions d’accepter, Monsieur le Président, l’expression de notre considération respectueuse.
Pour le Bureau national d’AJIR,*
Mohand Hamoumou, Président.
ajirfrancecontact@gmail.com
www.ajir-harkis.fr
18/04/2024
Quelle est la condamnation précise de la CEDH contre la France ?
La CEDH constate que les conditions de vie quotidienne des résidents du camp de Bias n'étaient pas compatibles avec le respect de la dignité humaine et s'accompagnaient en outre d'atteintes aux libertés individuelles. Elle caractérise ainsi la violation des articles 3 et 8 de la convention et de l'article 1 du protocole n°1.
La cour estime que les sommes allouées aux requérants sont modiques par comparaison avec ce qu'elle octroie généralement dans les affaires relatives à des conditions de détention indignes et déduit que ces sommes n’ont pas couvert les préjudices liés aux autres violations de la Convention.
Dans ces conditions, l'Etat français est condamné à verser un complément aux requérants, dans un délai de trois mois à compter de la date à laquelle l’arrêt sera devenu définitif, la somme de 4 000 EUR par année passée au sein du camp de Bias, toute année commencée étant intégralement prise en compte, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, au titre des dommages matériel et moral découlant du séjour au sein du camp de Bias et moins les sommes déjà perçues pour la même période.
L’arrêt de la CEDH parle de 4000€ par année passée au camp mais propose entre 3700 et 5800€ aux quatre plaignants. Pourquoi ?
Les juges de la CEDH ont estimé que la juste réparation des conditions de vie à Bias devrait être de 4000€ par an. Mais comme la France n’a signé la convention européenne des droits de l'Homme qu'en mai 1974, la CEDH ne peut condamner l'État français que pour la période de mai 1974 à fin 1975 (date officielle de fermeture des camps).
Et elle déduit au prorata temporis les sommes perçues pour cette période après le jugement du Conseil d'état
Est-ce la suite de l’affaire Tamazount jugée par le Conseil d’Etat en octobre 2018 et lui attribuant 15 000€ pour les 12 ans passés au camp de Bias ?
Oui. Pour aller devant la CDEH, il faut d’abord être allé devant les tribunaux de son pays car en vertu de l'article 35 § 1, la CEDH ne peut traiter une requête qu’après épuisement de l’ensemble des voies de recours internes (c’est à dire les différentes instances judiciaires françaises, du TA au CE).
Donc c’est une affaire engagée depuis longtemps ?
Oui cela dure depuis près de 13 ans ! Cela a commencé avec une demande indemnitaire le 20 juillet 2011 de Kader Tamazount. Trois ans plus tard, le Tribunal administratif de Cergy- Pontoise a rejeté sa demande de condamnation de l’Etat à lui verser une somme d’un million d’euros en réparation des préjudices subis à cause de l’abandon des Harkis et des conditions indignes d’accueil dans les camps.
Il y a ensuite jugement en appel devant la Cour administrative d'appel et devant le Conseil d’Etat en 2018 et enfin l’arrêt de la CEDH en avril 2024 ! On ne peut que saluer la ténacité de Charles Tamazount et sa compétence juridique.
Est-ce que la France va devoir payer uniquement pour les années 74 et 75 ou à partir de 1962 ?
Si on prend l’arrêt à la lettre, l'obligation ne porte que sur les sommes inscrites dans l’arrêt pour la période considérée.
Si on interprète l'arrêt dans son esprit, évidemment l'Etat devrait verser la somme de 4000€ par an à partir de 1962. Cette somme pourrait faire l'objet d'une des mesures proposées par l'Etat français pour effacer les conséquences des violations ainsi jugées. S'agissant de la période, la loi de février 2022 a fixé la période d'indemnisation entre le 20 mars 1962 et le 31 décembre 1975.
Est-ce que cela vaut pour toutes les familles de harkis ?
C'est le même raisonnement que la question précédente !
En droit strict, le paiement ne s'impose que pour les personnes qui ont porté plainte pour leurs conditions de vie au camp de Bias. Mais là aussi on comprend bien que l'Etat est face à une obligation morale de verser le même montant à toutes les personnes placées dans les mêmes conditions et circonstances que celles qui ont fait l'objet de la condamnation.
Et pour ceux qui ne sont pas passés par le camp de Bias ou un camp similaire ?
L’Etat pourrait dire que les conditions de vie dans les hameaux de forestage ou dans les cités urbaines étaient différentes de celles des camps. Tel est déjà le cas dans le contexte juridique actuel puisque sont exclues de la loi, les personnes qui ne sont pas passées par les camps, hameaux de forestage ou autres structures car parvenues en métropole hors plan – minimaliste - de rapatriement.
Pourtant la loi du 23 février 2022 et la CNIH ne font pas de différence entre les camps et les hameaux de forestage ou les cités urbaines ?
Oui, la loi propose la même réparation pour les conditions de vie indignes pour « les structures de toute nature ». Le premier rapport de la CNIH reflète cela puisque des structures très différentes des camps ont été ajoutées à la liste des structures donnant droit à la réparation prévue par la loi du 23 février 2022. En toute logique, l’Etat devrait donc verser 4000€ par année passée par une personne dans une des structures ouvrant droit à réparation.
Mais ce n’est pas ce qu’exige la CEDH ?
Non la CEDH traite uniquement du camp de Bias. Et plus précisément du cas des 4 plaignants de la famille Tamazount.
Comment pousser l’Etat français à généraliser ce cas à toutes les personnes ayant subi ces conditions de vie indignes ?
Les moyens d’actions pour un groupe afin de faire aboutir ses revendications sont connus. Ils varient selon les époques et les stratégies des groupes :
-La mobilisation de masse (manifestation dans la rue, grève,)
-Faire pression via les médias (et réseaux sociaux) à partir d’un élément déclenchant (grève de la faim, interview choc, blocage d’autoroute, prise d’otage,...)
-La voie judiciaire pour transformer des tribunaux en porte-voix et faire condamner l’Etat
-La voie politique : convaincre le pouvoir exécutif et législatif pour obtenir lois et amendements.
Par le passé les deux premiers moyens ont été utilisés par des associations de Harkis. Aujourd’hui, elles recourent surtout aux deux derniers. En réalité, il ne faut pas les opposer ; ils ne sont pas exclusifs les uns des autres et peuvent au contraire se renforcer.
AJIR a choisi de privilégier la voie politique sans s’interdire les autres.
C’est en travaillant avec les parlementaires, en suscitant l’écoute du Président et de ses conseillers qu’on a pu faire avancer les revendications d’une loi de réparation, de reconnaissance de l’abandon, de la demande de pardon, du doublement de la rente viagère et l’an dernier de son extension à toutes les veuves d’anciens harkis. Et on espère pouvoir convaincre de la création d’une fondation, et de la mise en place d’une vraie commission d’évaluation.
Et pour ceux abandonnés en Algérie après le 19 mars 62 et ceux qui ne sont pas passés par les « structures d’accueil » car arrivés hors plan de rapatriement ?
La loi du 23 février 2023 et le fonds de solidarité de 2018, comme l’arrêt de la CEDH, excluent les personnes qui ne sont pas passées par les camps ou autres structures. Toutes ces mesures oublient les personnes qui ont le plus souffert de l’abandon : celles qui, n’ayant pas été rapatriées ni protégées, ont subi emprisonnement, torture ou massacres après les accords d’Evian du 19 mars que la France n’a pas fait respecter. L’arrêt de la CEDH comme celui du Conseil d’Etat et d’autres jugements ont le mérite d’obliger à réparer le préjudice des conditions indignes d’accueil en métropole. Mais ces jugements refusent de condamner l’Etat français à réparer les conséquences de son abandon des Harkis après le 19 mars 1962.
Que va faire AJIR ?
Après concertation le bureau national a décidé :
- d’écrire au Président de la République pour lui demander de tirer les conséquences de cet arrêt et de mettre en place une vraie commission d’évaluation des préjudices de toutes les catégories de victimes de l’abandon et des conditions indignes d’accueil.
- d’écrire aux parlementaires pour leur demander de faire une proposition de loi pour tenir compte de l’arrêt de la CEDH et des insatisfactions suscitées par la loi actuelle et sa mise en œuvre.
- de solliciter la CEDH pour être entendue au titre de tiers intervenant durant la phase d'exécution de l'arrêt
- d’organiser à Lyon en mai une réunion de présidents et présidentes d’association avec la participation de juristes pour répondre à leurs questions et étudier la possibilité d’autres contentieux
Comme à son habitude, AJIR consulte de nombreux juristes pour tirer toutes les conclusions de cet arrêt important de la CEDH avant de s’engager dans la bataille de la généralisation à tous les Harkis de cette décision.
AJIR prendra également part aux éventuels échanges avec les autorités avec détermination et conviction, au service de tous nos compatriotes.
Un recours de masse ou particulier devant les juridictions administratives françaises sera-t-il couronné de succès à la suite de cette décision de la CEDH ?
Juridiquement la décision de la CEDH fait jurisprudence et s’impose donc aux juges français mais dans les faits c’est un peu plus compliqué.
En effet les juges auront à apprécier si les mêmes indignités, les mêmes violations et les mêmes pertes de chance existaient dans les autres lieux que Bias.
Par ailleurs, il convient de ne pas oublier que la requête Tamazount parvenue à ce stade ne l’a été que parce que le représentant de l’Etat n’a pas invoqué la prescription quadriennale devant les juridictions concernées. Il est fort à parier que le gouvernement ne commettra pas la même « erreur » si les recours s’amplifient d’autant qu’il convient de signaler que la CDEH donne raison aux juridictions françaises en reconnaissant la faculté de l’Etat d’invoquer la prescription quadriennale et celle des juridictions de l’appliquer.
Enfin la lenteur de la justice est bien connue... Il faudra des années. Et pendant ce temps, chaque année, des femmes et des hommes nous quittent.
Mais un contentieux de masse bien orchestré, avec sérieux et des avocats compétents, peut avoir un impact médiatique et politique par ricochet. Il ne faut donc par l’exclure même si on préfère essayer d’abord la voie politique.
Peut-on affirmer aujourd’hui que l’application de cet arrêt va être étendu à tous les lieux reconnus par les décrets d’application de la loi de 2022 et des lieux rajoutés sur proposition de la CNIH ?
L'Etat français, en l'occurrence, devra prendre les mesures en faveur des requérants, pour effacer les conséquences des violations constatées et adopter les mesures générales ou modifier la législation.
A ce titre, les mesures envisagées seront présentées sous forme de plan d'action et de bilan. Le Conseil des Ministres du Conseil européen accepte, approuve et clôt l'affaire par une résolution finale s’il juge que le plan d’action et son application répondent à la décision de la CEDH.
Cet arrêt n’est pas définitif. Dans un délai de trois mois à compter de la date de son prononcé, toute partie peut demander le renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre de la Cour. Il lui appartiendra de statuer sur ce renvoi, avant de rendre définitif l'arrêt. Dès qu’un arrêt devient définitif, il est transmis au Comité des Ministres du Conseil de l’Europe qui en surveille l’exécution.
Il convient de préciser que pendant le processus de surveillance, la société civile peut soumettre des communications relatives à l'exécution.
En résumé, ce qui est certain aujourd’hui c’est que cet arrêt de la CEDH ne s’applique qu’aux résidents (auteurs de la requête) du camp de Bias et son extension à tous les autres lieux dont l’indignité des conditions de vie, la privation ou l’atteinte aux libertés individuelles ainsi que la perte de chance pour la scolarisation en vase clos ont été reconnues, dépendra du Gouvernement français et de la pression que les familles de Harkis seront susceptibles d’exercer sur ce même Gouvernement…
Cet arrêt confirme également la jurisprudence établie des juridictions françaises relatives « aux actes de gouvernement » par rapport aux dommages subis en Algérie. La demande de réparation en raison de l’abandon des Harkis en Algérie par la France est-elle définitivement close ?
La CEDH a réaffirmé la responsabilité de la France dans l’abandon des Harkis après les accords d’Evian, abandon déjà reconnu par plusieurs Présidents de la République française et inscrit dans la loi de 2022. Mais la demande des Tamazount de réparation des préjudices subis en Algérie en raison de l’abandon en Algérie a été rejetée en invoquant le privilège des actes de gouvernement. La Cour entérine la jurisprudence du Conseil d’Etat et ferme la porte à toute demande de réparation pour faute des conséquences de l’abandon car les actes de gouvernement dans les relations internationales (en 1962 l’Algérie était un Etat en devenir) constituent le privilège du pouvoir exécutif (Président et Gouvernement). Le pouvoir judiciaire (les tribunaux) ne peut donc pas interférer dans ce domaine (séparation des pouvoirs oblige).
Cependant l’arrêt de la CEDH ouvre une possibilité d’action au civil pour une réparation sans faute préalable de l’Etat français (la requête Tamazount n’avait pas invoqué cette possibilité) mais là encore le risque de prescription est important.
*Interview du bureau national d’AJIR pour les Harkis réalisée le 15 avril 2024. Questions venant des délégations régionales.
Réponses : Ali Amrane, Said Balah, Marie Gougache, Mohamed Haddouche, Mohand Hamoumou, Mohamed Laazaoui
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